Deux ans après l’adoption du nouveau Cadre mondial sur la biodiversité de Kunming à Montréal survenue lors de la COP 15 à Montréal, les États membres de la CDB – c’est-à-dire les Parties – se rassemblent à nouveau pour faire le point sur la mise en œuvre du Cadre mondial, qui aspire à freiner et même à inverser la perte sans précédent de la biodiversité.
Photo by IISD/ENB | Mike Muzurakis
La 16e Conférence des Parties (COP 16) de la Convention sur la diversité biologique (CBD) se déroule du 21 octobre au 1er novembre 2024 à la ville de Cali, en Colombie. Les sujets à l’ordre du jour sont variés : mise en œuvre au niveau national, élaboration d’indicateurs de suivi (KPIs), mobilisation de l’ensemble des acteurs – y compris les acteurs non gouvernementaux, dont le secteur privé –, mobilisation des ressources financières, partage des avantages reliés aux ressources génétiques, reconnaissance des savoirs traditionnels et autochtones… la COP 16 s’annonce chargée!
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Paix avec la nature et COP de la société civile : les thématiques guidant la COP 16
Impulsées par la présidence de la COP16, qui est incarnée par la ministre de l’Environnement du pays hôte, la paz con la naturaleza (paix avec la nature) et la COP de la gente (la COP de la société civile) seront deux thématiques présentes en filigrane tout au long de la COP 16.
La première thématique fait écho à la vision à long terme du Cadre mondial, qui aspire à ce que l’humanité mène une vie harmonieuse avec la nature à l’horizon 2050. Dans une optique où les efforts d’ici 2030 doivent être guidés par une vision à plus long terme, assurer une présence de la vision de 2050 est opportun pour stimuler et susciter l’ambition.
La deuxième thématique, elle, évoque l’intention de démocratiser la COP afin d’amplifier les voix des sociétés civiles dans les discussions et, ultimement, leur influence sur les négociations entre les Parties. La COP16 entend accueillir la zone verte – la zone réservée à la société civile – la plus grande de l’histoire des COP biodiversité, dans l’optique d’élargir la place de la société civile. Encore faut-il, cependant, voir comment les sujets de discussion abordés dans la zone verte pourront percoler dans la zone bleue où se déroulent les négociations interétatiques.
Quel travail a été réalisé en amont à la COP16?
Entre l’adoption du Cadre mondial en décembre 2022 et la COP 16 en octobre 2024, différents groupes de travail se sont rencontrés, à la recherche d’un terrain d’entente concernant une variété de sujets sur lesquels les Parties devront s’entendre à la COP16. Plusieurs intersessions se sont tenues dans les derniers mois :
SBSTTA-26 (26e réunion de l’organe subsidiaire chargé de fournir des avis scientifiques, techniques et technologiques) : en mai 2024, cet organe a abordé de nombreux sujets, dont le cadre de suivi du Cadre mondial, les indicateurs (key performance indicateurs [KPIs]) et le lien entre la biodiversité et la santé;
SBI-4 (4e réunion de l’organe subsidiaire d’implémentation) : cette réunion s’est penchée sur une vaste diversité de sujets, dont la mise en œuvre au niveau national, la mobilisation de ressources financières et la mobilisation de l’ensemble des acteurs de la société, entre plusieurs autres sujets variés. Considérant l’ampleur de l’ordre du jour de cette réunion, de nombreux éléments sont restés en suspens;
WGDSI-2 (2e rencontre du groupe de travail sur le partage des avantages découlant de l’information du séquençage numérique (DSI) des ressources génétiques) : au mois d’août 2024, ce groupe s’est penché sur la négociation d’un mécanisme multilatéral de partage des avantages découlant des DSI des ressources génétiques, y compris un fonds mondial;
SBI-5 (5e réunion de l’organe subsidiaire d’implémentation) : considérant les nombreux points en suspens laissés par la réunion du SBI-4, le SBI-5 s'est déroulée la semaine précédant le début de la COP16, dans le but de dégager des consensus qui n’ont pas pu être atteints précédemment et faire la revue des NBSAPs.
Ces intersessions visent à faire du travail en amont à la COP 16. Elles élaborent des textes qui seront acheminés à la COP 16 sous forme de recommandation, afin que les Parties négocient, délibèrent et les adoptent. Les textes ont initialement de nombreux passages et mots entre crochets, mais les crochets sont retirés à mesure que les États trouvent des formulations consensuelles. Une intersession très fructueuse, par exemple, parviendra à acheminer un texte contenant peu de crochets à la COP 16, ce qui sauvera normalement du temps de négociation. Inversement, un texte parsemé de crochets augure généralement plusieurs désaccords entre les Parties, nécessitant plusieurs heures de négociation pour parvenir à une formulation acceptée par l’ensemble des Parties.
moins de 20 % des NBSAP sont dévoilés
Alors que l’un des principaux objectifs de la COP 16 est de faire le point sur les Stratégies et les plans d’action nationaux pour la biodiversité (NBSAP), il est préoccupant de constater qu’une portion légèrement inférieure à 20 % des Parties ont élaboré et rendu public leur NBSAP. La COP 16 sera l’occasion d’appeler les Parties à réitérer leur engagement et à rehausser leur ambition, tout en s’attardant aux principaux facteurs ralentissant l’adoption des NBSAP et leur mise en œuvre.
Pour l’instant, selon un outil de suivi développé par WWF, plusieurs NBSAP ne semblent pas aller assez loin en matière de :
Niveau d’ambition;
Intégration de l’ensemble de la société;
Approche basée sur les droits humains;
Implémentation;
Méthodes de suivi et reddition de comptes.
Le Canada a dévoilé son NBSAP en juin 2024, sous le nom de Stratégie pour la nature 2030 du Canada. Celle-ci comprend les 23 cibles du Cadre mondial, adaptées à l’échelle canadienne. Le Québec, lui, a élaboré l’équivalent pour une mise en œuvre au niveau québécois, sous le nom de Plan nature 2030. Celui-ci et son Plan d’action pour la période 2024-2028 ont été dévoilés le 7 octobre.
Quels indicateurs pour mesurer l’atteinte des objectifs et cibles du Cadre mondial?
En plus du défi de stimuler la mise en œuvre dans l’ensemble des pays, un autre défi réside dans le suivi de progression en matière de mise en œuvre. En ce sens, la COP 16 poursuivra le travail sur les indicateurs de progression et de succès (aussi appelés KPIs), un dossier déjà entamé par des groupes de travail. Un défi majeur sera de réfléchir à la transposition d’indicateurs mondiaux en indicateurs qui puissent être mesurés à l’échelle nationale, régionale et locale.
La mobilisation des ressources financières : le nerf de la guerre, COP après COP
Comme c’est récurremment le cas, la mobilisation des ressources financières s’avère le nerf de la guerre et fait l’objet de nombreuses heures de négociation. Si le financement international dédié à la biodiversité a augmenté dans la portion parcourue de la décennie 2020, l’écart entre le financement nécessaire à freiner la dégradation de la biodiversité et celui fourni continue tout de même de se creuser, faisant toujours du financement une question critique.
Pour mobiliser un nombre substantiel de ressources financières, un consensus se trace de plus en plus quant au besoin de mobiliser les flux financiers et les investissements tant du secteur public que du secteur privé.
La mobilisation du secteur privé : DES modalités à déterminer
Au regard de l’ampleur des impacts que les activités du secteur privé ont sur la biodiversité, le besoin d’inciter ce secteur à adopter des pratiques transformatrices des modes de production et de consommation de manière à les rendre compatibles avec la protection de la nature, est répandu. Si des initiatives en marge de la CBD se sont développées dans les dernières années, comme le Taskforce on Nature-related Financial Disclosures (TNFD), ou encore les discussions récentes sur des avenues de partenariats public-privé en matière de financement de la biodiversité abordés à la Climate Week 2024, la COP 16 sera l’occasion d’alimenter les réflexions sur le sujet. En fait, cette COP devra chercher à établir les modalités qui dicteront la mobilisation du secteur privé. Le choix du vocabulaire dans le texte final de la COP16 sera crucial. Par exemple, la divulgation et le financement obligatoires ou volontaires sous-tendra, en fonction du vocabulaire choisi, de nombreuses implications relatives à la mise en œuvre, à la responsabilité et à la reddition de comptes de la part du secteur privé.
Partage des avantages des DSI issues des ressources génétiques
Dans le même esprit que l’intégration du secteur privé, les Parties s’entendent globalement sur la nécessité d’établir un mécanisme multilatéral pour le partage des avantages tirés des DSI, y compris un fonds mondial. Les modalités de ce mécanisme et du fonds, toutefois, demeurent sujet de discorde entre de nombreux acteurs. En plus des États, notons que des acteurs non étatiques comme la communauté scientifique, les industries pharmaceutiques et les communautés autochtones sont des parties prenantes fortement impactées par les décisions qui seront prises à ce sujet.
La COP 16 : une COP orientée vers la mise en œuvre
Après l’adoption du Cadre mondial pour la biodiversité à la COP 15, il est maintenant attendu que la COP 16 soit orientée vers la mise en œuvre du Cadre mondial, avec toutes les technicalités que cela implique. Avec de nombreux crochets et un nombre non négligeable de questions controversées à traiter, la COP 16 nécessitera un esprit de compromis pour parvenir à un consensus qui permette de relever le défi à relever d’ici 2030, sans perdre de vue la vision de 2050 où nous vivons en harmonie avec la nature.