Du 25 au 27 février 2025 s’est déroulée la deuxième partie de la 16e Conférence des Parties (COP16) sur la biodiversité à Rome, dans les bureaux de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Cette deuxième partie s’inscrit en continuité avec la première partie, qui s’est tenue du 21 octobre au 2 novembre 2024 à Cali, Colombie. En effet, des points essentiels devaient être négociés et adoptés rapidement, à savoir plus particulièrement le financement et le cadre de suivi, tous les deux incontournables pour mettre en œuvre le Cadre mondial pour la biodiversité Kunming-Montréal et en mesurer le progrès à l’horizon 2030.

La deuxième partie de la COP16, à Rome, s’est concentrée sur les éléments qui n’avaient pas pu être adoptés à la première partie à Cali, mais qui sont cruciaux pour l’atteinte des objectifs du Cadre mondial pour la biodiversité Kunming-Montréal.
Parmi les décisions les plus attendues, remarquons les suivantes :
Mobilisation des ressources financières
Mécanisme de financement
Cadre de suivi de l’implémentation du Cadre mondial
Le rythme des négociations a été très intense et la présidence de la COP16, Susana Muhamad, a reçu une ovation enthousiaste à la dernière plénière en raison du leadership qu’elle a déployé de Cali jusqu’à Rome.
Première partie de la COP16 à Cali : que s’était-il passé?
La COP16 avait l’ambition d’adopter les décisions nécessaires pour mettre en œuvre le Cadre mondial à l’horizon 2030, qui avait été adopté à la COP15 à Montréal en 2022. Plusieurs décisions ont été adoptées dans le cadre de la première partie de la COP16, notamment celles concernant :
Malgré des avancées remarquables, la première partie de la COP16 s’est vue suspendue en raison d’un manque de quorum le 2 novembre au matin, après une nuit intense de négociations. Alors qu’un grand nombre des délégations devaient quitter Cali, quelques éléments clés sont restés en suspens, dont : la mobilisation des ressources financières et le cadre de suivi visant à mesurer le progrès dans l’atteinte des cibles et objectifs du Cadre mondial.
Comme l’absence de financement et de cadre de suivi compromet sérieusement la mise en œuvre effective du Cadre mondial, les Parties ont convenu de convoquer une deuxième partie pour la COP16. En effet, repousser le financement et le cadre de suivi à la COP17, qui est prévue au mois d’octobre 2026 en Arménie, a été jugé comme une avenue trop tardive, considérant que les Parties se sont engagées à traduire en actions le Cadre mondial pour 2030.
Vous pouvez consulter notre analyse plus approfondie sur la première partie de la COP16 à Cali ici. |
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Une percée historique pour le financement de la nature
La deuxième partie de la COP16 s’est entendue sur une feuille de route afin de mobiliser les ressources financières nécessaires à la protection de la nature à l’échelle mondiale. Il s’agit d’une décision qui est attendue depuis 30 ans et qui, paradoxalement, survient à un moment où la géopolitique mondiale est extrêmement tendue.
Tous les acteurs, y compris les acteurs non gouvernementaux, le secteur privé et les différents paliers de gouvernement, sont donc invités à suivre et à contribuer à la réussite de la feuille de route établie pour la période 2025-2030.
La feuille de route trace un chemin à suivre pour mobiliser minimalement 200 milliards USD par année à l’horizon 2030, dont 20 milliards USD par année en flux financiers internationaux d’ici la fin de l’année 2025, puis 30 milliards USD par année d’ici 2030. Cette feuille de route couvre donc les prochaines COP et les intersessions qui sont prévues jusqu’en 2030 inclusivement.
Rétrécir l’écart entre le financement qui devrait être mobilisé pour la protection de la biodiversité et celui qui est réellement mobilisé n’est cependant pas tâche facile. Les Parties ont donc convenu que le financement pourrait provenir de toutes sortes de sources, comme : les États – particulièrement les plus riches économiquement, quoique l’ensemble des Parties sont invitées à fournir des fonds en fonction de leurs capacités et de leur contexte national respectif –, mais aussi les secteurs privé et financier, les gouvernements infranationaux et les banques multilatérales de développement, entre autres. Tous les acteurs, y compris les acteurs non gouvernementaux, le secteur privé et les différents paliers de gouvernement, sont donc invités à suivre et à contribuer à la réussite de la feuille de route établie pour la période 2025-2030.
En marge de la deuxième partie de la COP16, le fonds Cali, que la première partie de la COP16 a désigné comme fonds mondial pour le partage des avantages découlant de l’information de séquençage numérique (DSI), a été rendu opérationnel. Ce fonds servira à mieux répondre à l’un des trois objectifs principaux de la Convention sur la diversité biologique (CDB), qui aspire à partager les avantages, notamment financiers, de manière la plus juste et équitable possible. Les Parties, mais également le secteur privé qui profite souvent des ressources biologiques et des DSI, sont invités à verser des montants au Fonds Cali, qui attend maintenant ses premières contributions.
Le mécanisme de financement : deux options possibles
La feuille de route aspire également à établir un mécanisme financier permanent pour la biodiversité qui serait placé sous la responsabilité de la COP d’ici 2030, conformément à l’article 21 de la CDB. Ni la première ni la deuxième partie de la COP16 n’ont pu trancher cette question, car des visions divergentes s’opposent.
D’un côté, les pays du Nord souhaitent garder un fonds à l’intérieur du Fonds environnemental mondial (FEM), qui est l’institution financière intérimaire pour le financement de la biodiversité depuis la première COP en 1994. D’un autre côté, les pays du Sud global préfèrent plutôt la création d’un nouveau fonds indépendant du FEM, afin d’assurer par le fait même une bureaucratie moins lourde que celle du FEM qui retarde significativement l’accès au financement pour les bénéficiaires. La CDB est la seule convention de Rio qui ne dispose pas de son propre fonds.
En l’absence de consensus, les Parties doivent tâcher d’alléger la bureaucratie du FEM et ainsi permettre aux pays les plus vulnérables et les moins économiquement fortunés d’accéder plus rapidement au financement, tout en explorant simultanément la possibilité de créer un nouveau mécanisme de financement. Les Parties ont convenu, ultimement, que le mécanisme financier sélectionné devra garantir une accessibilité à l’ensemble des Parties, et ce, d’une manière dite « juste, rapide, simple, équitable, inclusive et non discriminatoire ».
Bien que cette feuille de route soit le fruit d’une volonté politique commune et qu’elle trace la voie à suivre, elle démontre à la fois que les Parties n’ont pas atteint un consensus leur permettant de sauter directement à la mobilisation effective des ressources. La COP17, COP18 et COP19, qui seront guidées par la feuille de route pour la période 2025-2030, devront faire preuve de compromis et de consensus pour adopter des décisions qui permettent de traduire la feuille de route en actions tangibles à l’échelle mondiale.
Considérant qu’il ne reste que cinq ans pour atteindre les visées du Cadre mondial, combler l’écart de financement est urgent pour espérer traduire en actions concrètes le Cadre mondial à l’horizon 2030. Alors que moins de 50 stratégies et plans d’action nationaux pour la biodiversité (NBSAP) ont été soumis à l’heure où ces lignes sont écrites et que les NBSAP sont d’une importance capitale pour mettre en oeuvre le Cadre mondial au niveau national, de nombreux pays du Sud global sont dépendants de la mobilisation de ressources financières de la part des pays les plus aisés sur le plan économique.
Bien que les Parties aient la responsabilité de présenter leur propre NBSAP, les autres acteurs sont également invités à développer leurs propres stratégies et plans en cohérence avec les cibles du Cadre mondial.
Cadre de suivi : un travail entamé, qui reste à compléter
Bien que les Parties puissent déjà commencer à utiliser les indicateurs du cadre de suivi afin de mesurer le progrès entourant l’implémentation du Cadre mondial sur leur territoire, le Groupe spécial d’experts techniques travaillant sur les indicateurs poursuivra l’élaboration d’indicateurs supplémentaires, en veillant à couvrir l’entièreté de la portée du Cadre mondial.
Par exemple, l’élaboration d’indicateurs portant sur l’identification et l’élimination des subventions néfastes pour la biodiversité nécessite encore du travail. Pour faciliter cette tâche, les acteurs du secteur privé sont invités à communiquer de manière transparente les données concernant leurs financements ayant des effets sur la biodiversité. Pour ce faire, le secteur privé et les institutions financières peuvent suivre les méthodes développées par le Task Force on Nature-related Financial Disclosures (TNFD), entre autres.
La COP17 : l’heure du bilan des efforts mondiaux
D’ici la COP17, l’objectif sera de produire un bilan mondial faisant état de la mise en œuvre du Cadre mondial sur la base des rapports nationaux et des progrès des différents acteurs et secteurs. La COP17 devra ensuite se pencher sur ledit bilan pour en faire un examen mondial. La deuxième partie de la COP16 a adopté un calendrier (p. 17-18) à suivre en ce sens. Cet exercice d’examen mondial s’apparente au bilan mondial que la CCNUCC tient aussi dans le but d’évaluer la mise en œuvre de l’Accord de Paris.
Bien que les Parties aient la responsabilité de présenter leur propre NBSAP, les autres acteurs sont également invités à développer leurs propres stratégies et plans en cohérence avec les cibles du Cadre mondial. Par exemple, les gouvernements infranationaux (comme les États fédérés ou les villes) peuvent développer leurs plans respectifs et les présenter. Les acteurs du secteur privé sont également invités à adopter des stratégies ou des plans d’action leur permettant de diminuer leurs effets néfastes sur la nature et augmenter leurs impacts positifs.
De plus, les différents acteurs sont invités à partager leurs données pouvant servir à mesurer la progression de la mise en œuvre des cibles et objectifs du Cadre mondial. Par exemple, les communautés autochtones, la société civile, les jeunes et les femmes peuvent jouer un rôle clé dans le suivi des indicateurs, mais aussi dans l’implémentation des visées du Cadre mondial à l’horizon 2030.
Éléments reportés et points de surveillance
Par manque de temps, l’adoption du programme de travail pluriannuel à l’horizon 2030, qui vise à identifier les thématiques prioritaires sur lesquelles les travaux de la CDB devront se concentrer, a été reportée à la COP17.
Le momentum sur la biodiversité : une avenue prometteuse pour profiter des synergies entre les crises
Financer la nature est une piste également prometteuse pour lutter contre les changements climatiques, alors que le financement climatique vit des blocages significatifs. Le financement de la biodiversité peut donc s’avérer un angle et un fil conducteur à explorer en vue de la COP30 sur les changements climatiques, qui se tiendra à Belém, au cœur de l’Amazonie brésilienne en novembre 2025. D’ailleurs, la présidence de la COP16 a lancé quatre routes de Cali vers Belém, avec la nature comme trame narrative commune.
Une décision portant sur la coopération entre la CDB et d’autres conventions ou organisations internationales, comme la CCNUCC, a également été adoptée à la deuxième partie de la COP16. Celle-ci rappelle, notamment, le potentiel du financement pouvant avoir simultanément un impact sur plusieurs crises, comme celle des changements climatiques, de la perte de la biodiversité et de la sécheresse.
En vertu de la décision 16/22 adoptée à la première partie de la CDB, le secrétariat de la CDB, et même le gouvernement du Canada, sont à la recherche de voies prometteuses pour augmenter la cohérence entre les travaux portant sur le climat et ceux sur la biodiversité. Cette réflexion contemple, notamment, la potentielle création d’un groupe de travail conjoint entre la CCNUCC et la CDB.
2025-2030 : une période cruciale pour la mise en oeuvre du Cadre mondial
En conclusion, la deuxième partie de la COP16 a permis des avancées significatives qui n’avaient pas pu être atteintes à la première partie. Maintenant que les différentes décisions, y compris une feuille de route pour le financement, ont été adoptées par la communauté internationale, il sera crucial que les Parties déploient des actions et mobilisent les ressources nécessaires pour honorer les engagements qui ont été pris. La COP17 permettra, en 2026, de mesurer la qualité des efforts déployés par les pays, mais également par d’autres acteurs, comme les gouvernements infranationaux ou le secteur privé, par exemple.