top of page

Taxonomie verte : un langage commun qui doit intégrer la biodiversité

Pour réussir la transition socio-écologique, il est crucial de promouvoir et d'investir dans des actions alignées avec les objectifs environnementaux. La taxonomie verte joue un rôle clé en établissant un langage commun pour guider ces efforts. Actuellement centrée sur les changements climatiques, elle devra également intégrer la biodiversité pour offrir une approche plus complète et efficace.


Qu’est-ce que la taxonomie et la taxonomie verte?

La taxonomie est un système de classification qui organise les éléments d'un domaine en catégories distinctes et hiérarchisées. 


En écologie, elle sert à nommer et à classer les espèces, jouant un rôle crucial dans la gestion et la conservation de la biodiversité. Cette science, qui inclut la faune, la flore et les micro-organismes, est essentielle à la recherche scientifique et au commerce mondial grâce à ses dénominations uniformes et universelles. 


De manière similaire, le monde économique utilise ce concept pour classer les activités économiques selon leur durabilité, ce que l'on appelle la taxonomie verte.


Quel est l’origine de la taxonomie verte?

Lancée par la Commission européenne en 2018, la taxonomie verte est un système de classification conçu pour identifier les activités économiques durables sur le plan environnemental. Ce système repose principalement sur la définition de seuils d'émissions de CO2 pour déterminer quelles activités sont considérées comme durables, ou « vertes » et « de transition ». Elle a pour objectif de créer un langage commun à l’échelle européenne pour orienter les investisseurs et soutenir les initiatives environnementales, en accord avec le Pacte Vert européen.

La taxonomie verte joue un rôle clé en établissant un langage commun pour guider les efforts de transition.

Que couvre la taxonomie verte européenne?

Depuis l'entrée en vigueur du premier volet climatique en janvier 2022, elle couvre plus de 70 activités économiques, représentant 90 % des émissions de gaz à effet de serre de l'UE. Cependant, le projet est en constante évolution, avec des ajustements et des extensions prévues pour inclure davantage de secteurs, ainsi que des débats en cours concernant l’inclusion du gaz et du nucléaire.


Pour garantir la robustesse de cette classification, un groupe d'experts indépendants a élaboré les critères permettant de déterminer si une activité économique contribue de manière significative à la neutralité climatique. Le règlement européen sur la taxonomie, adopté en juin 2020, couvre six objectifs environnementaux : atténuer le changement climatique, S’adapter au changement climatique, utiliser de manière durable et protéger les ressources aquatiques et marines, transitionner vers une économie circulaire, prévenir et réduire la pollution et protéger et restaurer la biodiversité.


Pour ce dernier objectif, la réglementation européenne considère qu'une activité économique contribue de manière substantielle à la protection et à la restauration de la biodiversité si elle permet de : 

  1. conserver la nature et la biodiversité, 

  2. utiliser et gérer les terres de manière durable, 

  3. mettre en œuvre des pratiques agricoles durables,

  4. gérer les forêts de façon durable. 


À l'inverse, une activité est jugée préjudiciable aux objectifs si elle nuit à la santé et à la résilience des écosystèmes ainsi qu'à l'état de conservation des habitats et des espèces.


La taxonomie verte existe-elle seulement en Europe?

Des initiatives similaires apparaissent dans d'autres juridictions telles que la Chine, le Royaume-Uni et le Canada, mettant en évidence la nécessité d'une approche globale et flexible pour faire face aux défis écologiques.


Où se positionnent le Canada et le Québec aujourd’hui ?

Le Canada a reconnu l'urgence de développer une taxonomie des investissements climatiques pour guider les investisseurs et les institutions financières dans l'évaluation des impacts environnementaux et prévenir l'écoblanchiment.

Actuellement centrée sur les changements climatiques, la taxonomie canadiennne devra également intégrer la biodiversité pour offrir une approche plus complète et efficace.

Le Conseil d’action pour la finance durable (CAFD) mène l’élaboration de la taxonomie au Canada, comme l'indique le rapport publié en mars 2023. Ce cadre distingue deux catégories : « verte » pour les projets à faibles émissions, tels que la production d’hydrogène vert, et « transition » pour les secteurs à fortes émissions en cours de décarbonisation, comme les sables bitumineux et la production d'acier. L’objectif est de guider les investissements tout en équilibrant la transition écologique avec la stabilité économique. 


La taxonomie canadienne devrait être dévoilée cet automne par le gouvernement canadien.

Bien que le Québec ne dispose pas encore d’un cadre provincial spécifique, les initiatives nationales et fédérales devraient être harmonisées pour relever les défis du changement climatique et freiner le déclin de la biodiversité.


Défis et limites de la taxonomie verte canadienne

Contrairement à l'Union européenne, qui privilégie une taxonomie verte avec des éléments de transition limités, le Canada adopte une approche plus large en intégrant des activités de transition substantielles. Cette différence reflète la dépendance du Canada aux ressources naturelles et l'importance de soutenir la décarbonisation dans ces secteurs. Les critiques sur cette approche se concentrent sur l'inclusion controversée des sables bitumineux et de l'hydrogène bleu dans la catégorie « transition », malgré les préoccupations environnementales concernant leurs émissions résiduelles. 


Considérant l’urgence d’agir, l'absence de calendrier précis et le caractère non contraignant de cette taxonomie posent également des défis.


De plus, le projet de taxonomie canadienne ne couvre pas encore la biodiversité et se concentre principalement sur les investissements climatiques. Pourtant, le gouvernement canadien s’est engagé lors de la COP15 à augmenter ses efforts de protection de la biodiversité, surtout compte tenu de l’importance de la biodiversité pour la résilience de notre société et de notre économie. 


Pourquoi faut-il intégrer la biodiversité dans la taxonomie verte?

L'importance de la biodiversité ne peut être sous-estimée. Les services écosystémiques qu'elle fournit sont évalués entre 125 000 et 140 000 milliards de dollars américains par an, soit environ une fois et demie le PIB mondial (Nations Unies, s. d.; OCDE, 2008). 

La biodiversité est essentielle pour la résilience de notre société et de notre économie. 

Selon le World Economic Forum, la perte de biodiversité est le quatrième risque mondial le plus grave à long terme. En cinquante ans, près de 70 % des populations d'animaux sauvages ont disparu, soulignant le lien crucial entre biodiversité et réchauffement climatique. La dernière Liste rouge mondiale de l’UICN indique que 44 016 espèces sont menacées, dont 41 % des amphibiens et 26 % des mammifères.


La biodiversité est essentielle pour les besoins humains. En plus de fournir des ressources naturelles que nous exploitons directement, elle filtre l'air et l'eau, régule le climat, soutient l'agriculture grâce aux pollinisateurs, et enrichit la recherche médicale avec de nombreux médicaments inspirés par la nature. Par ailleurs, elle joue un rôle crucial dans la protection contre les risques environnementaux (IPBES, 2019; Office français de la Biodiversité [OFB], s. d.).


Comment est-ce que la taxonomie affecte le secteur privé?

Les initiatives pour atteindre la neutralité carbone se multiplient, en particulier dans le secteur financier, avec une estimation de 6,35 trillions d'euros d'investissements annuels nécessaires pour respecter les objectifs de l'Accord de Paris d'ici 2030. La mobilisation des institutions financières et des capitaux privés est cruciale, car les engagements publics seuls ne suffisent pas. Bien que la taxonomie verte soit encore en développement, elle joue un rôle clé dans la transition environnementale en définissant des règles et des incitations pour guider cette mobilisation.


Pour ce qui est de la biodiversité, le déficit de financement, lui, était évalué entre 722 et 967 milliards de dollars américains en 2019 (Deutz et al., 2020; Paulson Institute et al., 2021; Tobin-de la Puente et Mitchell, 2021). Selon une étude de l'OCDE publiée en 2020, intitulée "Aperçu général du financement de la biodiversité à l'échelle mondiale", le financement mondial de la biodiversité, provenant de sources publiques et privées, était estimé entre 78 et 91 milliards de dollars américains par an pour la période de 2015 à 2017. Cette étude indique que la majorité du financement national, environ 67,8 milliards de dollars par an, provient du secteur public, selon une étude menée par BIOFIN dans 81 pays. Le financement international est estimé à environ 6,1 milliards de dollars par an, tandis que le secteur privé contribue beaucoup moins, avec des estimations variant entre 6,6 et 13,6 milliards de dollars par an. Le financement de la biodiversité représente ainsi environ 0,1 % du PIB mondial (OCDE, 2020).

La mobilisation du secteur privé et financier est donc d'autant plus essentielle, étant donné ses liens étroits et sa dépendance vis-à-vis de la biodiversité

L'Accord Kunming-Montréal de 2022 a établi des cibles pour inverser cette tendance et accroître les financements. La taxonomie verte aidera le secteur privé à mieux s'orienter et à mobiliser ces ressources en facilitant les flux financiers. Ces cadres et les réglementations associées visent à augmenter les montants actuellement alloués au financement de la nature. La mobilisation du secteur privé et financier est donc d'autant plus essentielle, étant donné ses liens étroits et sa dépendance vis-à-vis de la biodiversité.


Conclusion et recommandations

La taxonomie verte peut être un puissant levier pour assurer une transition juste, mais encore du travail reste à faire; 


  • La taxonomie verte est cruciale pour orienter les investissements vers des activités durables, mais l'intégration de la biodiversité reste pour l’instant insuffisante.

  • La taxonomie doit couvrir plus que la simple transition énergétique, puisque d’autres secteurs d’activité comme l’agriculture, la foresterie, la pêche et le bâtiment génèrent des pressions directes sur les écosystèmes.

  • Le Canada peut s’inspirer de l'Union européenne, avec ses objectifs ambitieux de restauration des habitats et ses régulations, pour inclure la biodiversité dans sa future taxonomie et soutenir ces normes avec des législations appropriées (cf. Règlement européen sur la restauration de la nature adopté en 2024).

  • Il est crucial de suivre les développements fédéraux pour aligner les efforts provinciaux tout en impliquant les entreprises, le secteur financier et les institutions dans une approche concertée pour une transition réussie.

  • La taxonomie doit refléter les enjeux sociaux pour garantir une transition juste et équitable.



Pour aller plus loin :


 

Pour information:

Émilie Le Beuze, collaboratrice

Ateliers pour la biodiversité

 

 


Références

 Arnold, J. (s. d.). La taxonomie des investissements climatiques du Canada, un moteur de la transition énergétique. Institut Climatique du Canada. https://institutclimatique.ca/publications/la-categorisation-des-projets-petrogaziers-selon-la-taxonomie-des-investissements-climatiques-du-canada-gage-dune-transition-harmonieuse

Arnold, P. J. (s. d.). La catégorisation des projets pétrogaziers selon la taxonomie des investissements climatiques du Canada, gage d’une transition harmonieuse.

Caillaud, Maxime. (2022, 25 février). Décryptage de la taxonomie européenne (épisode 1). Groupe BPCE. https://www.groupebpce.com/toute-l-actualite/decryptage-de-la-taxonomie-europeenne-episode-1/

Commission européenne. (2022, 13 janvier). Taxonomie verte : mode d’emploi ! https://france.representation.ec.europa.eu/informations/taxonomie-verte-mode-demploi-2022-01-13_fr

Experfi. (s.d.). Union Européenne et Finance Verte, c’est maintenant ! https://experfi.net/site/union-europeenne-et-finance-verte-cest-maintenant/

Finance, R. G. (2023, 11 mai). Le décryptage de Taxo4 - Green Finance %. Green Finance. https://green-finance.fr/le-decryptage-de-taxo4/

FR Journal officiel de l’Union européenne. (2020, Juin). Règlement (ue) 2020/852 du parlement européen et du conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32020R0852&from=F

Gaillard, B. (2022, 7 juillet). Environnement : qu’est-ce que la taxonomie verte de l’Union européenne ? Touteleurope.eu. https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/climat-quest-ce-que-la-taxonomie-verte-europeenne/

Institut Climatique du Canada. (2023, 3 mars). 5 grandes questions à propos de la nouvelle taxonomie des investissements climatiques du Canada - Institut Climatique du Canada - Blog. Institut Climatique du Canada. https://climateinstitute.ca/5-big-questions-about-canadas-new-climate-investment-taxonomy/

La Presse. (2023, 3 mars). Ottawa publie un nouveau rapport sur la taxonomie verte. La Presse. https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2023-03-03/ottawa-publie-un-nouveau-rapport-sur-la-taxonomie-verte.php

Lanz, D. (2023, 19 avril). Understanding Canada’s proposed climate finance taxonomy | Investment Executive. IE Investment Executive. https://www.investmentexecutive.com/inside-track_/dustyn-lanz/understanding-canadas-proposed-climate-finance-taxonomy/

La Tête au carré. (2006, 11 septembre). LA TAXONOMIE, classification et dénomination des espèces. France Inter. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-tete-au-carre/la-taxonomie-classification-et-denomination-des-especes-2513867

Le Beuze, E. (2024). Comment mettre la finance au service de la biodiversité. Savoirs UdeS.

Legendre, B. (2022, 12 octobre). Selon le WWF: Près de 70 % des populations d’animaux sauvages ont disparu depuis 1970. La Presse. https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2022-10-12/selon-le-wwf/pres-de-70-des-populations-d-animaux-sauvages-ont-disparu-depuis-1970.php

McHughan, J. Tong, K. (2023, 22 septembre). Taxonomie canadienne du financement vert et de la transition : Qu’est-ce que cela signifie pour les investisseurs? Responsible Investment Association. https://www.riacanada.ca/fr/magazine/taxonomie-canadienne-du-financement-vert-et-de-la-transition-quest-ce-que-cela-signifie-pour-les-investisseurs/

OFB, MNHN, CNRS, et IRD. (2024, avril). Règlement européen sur la restauration de la nature | PatriNat, centre d’expertise et de données sur le patrimoine naturel. https://www.patrinat.fr/fr/reglement-europeen-sur-la-restauration-de-la-nature-7273

Parlement européen. Restauration de la nature Résolution législative du Parlement européen du 27 février 2024 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la restauration de la nature. , (COM(2022)0304 – C9-0208/2022 – 2022/0195(COD)) (2024). https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2024-0089_FR.pdf

RSM France. (2024, 11 avril). Taxonomie verte européenne : définition, entreprises concernées, objectifs et calendrier. https://www.rsm.global/france/fr/insights/decryptages/taxonomie-verte-europ%C3%A9enne-d%C3%A9finition-entreprises-concern%C3%A9es-objectifs-calendrier

UICN. (s.d.). La Liste rouge mondiale des espèces menacées. UICN France. https://uicn.fr/liste-rouge-mondiale/

Ziafati, N. (2024, 21 mai). Une taxonomie des investissements climatiques contre l’écoblanchiment. Finance et Investissement. https://www.finance-investissement.com/nouvelles/actualites/une-taxonomie-des-investissements-climatiques-contre-lecoblanchiment/


Коментарі


bottom of page